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Deux lectures émouvantes comme ce printemps, qui construisent avec le sujet de l’anxiété des rêves de bouleversements.

Temps libre de Mélanie Leclerc, autofiction en bande dessinée parue chez Mécanique générale et Trash anxieuse de Sarah Lalonde récit poétique paru chez Leméac jeunesse.


Temps libre c’est l’histoire en images et en mots d’une femme, mère de trois enfant, commis de bibliothèque à temps partiel et cinéaste à temps perdu. Une artiste qui tente de raconter les fragments de la vie qui habite sa marraine atteinte d’Alzheimer, tout en soutenant à bout de bras sa mère malade du cancer et sa petite tribu, sa famille, remplie de vie et de besoins.


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On y trouve de magnifiques pleines pages qui montrent le poids de la neige sur un arbre pour illustrer le poids des rêves difficiles à soutenir. Le visage fragmentée de la marraine, par des pièces de casse-tête, comme les mots qui s’échappent de sa tête et la paranoïa qui s’installe. De belles analogies entre les points de suture de sa mère, qui a accepté une opération et la courtepointe qu’elle termine, symbole de toutes ces miettes arrachées au temps qui passe. Et tout ces bouts du film que l’on imagine en construction, ces traverses d’autoroute où l’on imagine les neurones d’entrechoquer, ces accumulations de livres partout.

Mais surtout l’humanité, l’adresse dans les dialogues pour faire exister tout ces êtres de papier.


Trash anxieuse, raconte avec des mots qui créent des images fortes, l’histoire d’une adolescente aux prises avec des crises de panique reliées à l’éco-anxiété autant qu’aux chavirements de son quotidien.


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J’aime la crudité avec laquelle l’autrice brasse le quotidien, exhibe ses blessures pour construire sa réalité.

“J’me suis écroulée. Avec personne pour m’rattraper. Ma tête froide fracturée sur le sol en béton où s’égrainaient en miettes les battements de mon cœur.” (p.10)

Ses parents se séparent, sa mère a une nouvelle amoureuse, son père est en dépression. Elle fait de nouvelles rencontres, flirt avec le militantisme mais toujours avec une forte affirmation de ce en quoi elle croit, ou pas.

“Dans la vie, j’ai souvent de la misère à déterminer qui a raison, mais je défais ma main de la sienne. Mon non-verbal prend position.” (p.89)


C’est le monde qui la secoue qui la forme et la fait réagir.

“Une broderie de tissus dans une clôture Frost rouillée s’adresse directement à moi Tu ne t’es pas perdue, tu cherches.

Ce que je lis, j’aurais aimé l’écrire” (p. 124)


C’est vivant, bouleversant, un électrochoc plus que bienvenue en ces temps essoufflés.

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Par ces belles journées glaciales, c’est agréable de s’embarquer dans un long récit en bande dessinée, bien emmitouflés sous la couette. J’ai des propositions de voyages pour vous.

Le premier est une quête fantastique, inspirée de la mythologie finlandaise. Un rêve de renard de Minna Sunberg. C’est un webcomic publié entre 2011 et 2013. Il est possible de le lire en ligne en anglais ici, mais c’est tellement plus agréable de tenir un livre entre les mains. (surtout lorsqu’il est aussi beau!)

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Dans cette histoire, Bébé-renard fait gaffe par dessus gaffe. Afin d’échapper au courroux des autres animaux, il enferme les habitants d’un village dans une bulle magique.

L’on suit alors le jeune Hannu Vitanen et son chien Ville qui se soumettent à des épreuves afin de réussir à sortir de cette bulle.

Le récit initiatique est un peu répétitif puisque Hannu doit remettre une amulette à tous les chefs de groupe de son village. Son chien se transforme au début de chaque chapitre en un nouvel animal et il doivent combattre une créature fantastique (poisson géant, élan ou corbeaux malfaisants). Mais c’est surtout un prétexte pour découvrir un univers mythologique qui m’était inconnu.

Les illustrations sont dynamiques et rendent bien l’adrénaline des combats spectaculaires dans un décor hivernal magnifique.


La seconde bande dessinée fantastique qui a retenu mon attention est Le serment des lampionsde Ryan Andrews. On apprend en quatrième de couverture que cet auteur américain est bien établi maintenant au Japon et à plusieurs reprises ce récit m’a fait pensé au Voyage de Chihiro, tant par le type de quête que par la présence de certains personnages.

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L’idée de départ est qu’un groupe de jeunes partent chaque année à vélo la nuit pour suivre des lampions qu’ils jettent allumés à la rivière. Selon la légende les lampions s’envolent pour créer les étoiles de la Voie lactée.


Seul Nathaniel et Ben tiendront leur promesse de ne jamais faire demi-tour et de ne pas regarder en arrière, ce qui leur donnera l’occasion de se dépasser et de donner un souffle à leur amitié bancale. Ils rencontrerons aussi Madame Majestic et son laboratoire ainsi qu’un grand ours blanc pêcheur d’étoiles. Ces personnages les aideront ou pas, selon leur propre intérêt.


Le dessin feutré de cette bande dessinée, ne cède en rien à l’action et rend vivants de formidable lieux mystérieux comme une forêt sauvage, une mer en colère ou le terrarium de la sorcière. Les couleurs traitées souvent en bichromie, nous plongent avec délicatesse dans les sentiments et dans l’ambiance de l’aventure.


Et terminer cette proposition au voyage, un dernier récit pour les adultes, qui marie réalisme autobiographique et fantastique, Bus de nuit de Zuo Ma.

L’autobus de nuit est une occasion de plonger dans ses souvenirs et peurs tout en nous faisans découvrir des créatures vivant dans la forêt, à la lisère des villages et issues de la culture traditionnelle chinoise .

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Espérons que le printemps tarde encore un peu pour nous laisser profiter de ces lectures qui demandent du temps.


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Je déclare la bienveillance comme mot le plus important de l’année. On parle souvent des livres qui ébranlent, de ceux qui choquent mais j’aimerais vous présenter en ce début d'année trois livres dont l’intention est d’aider le lecteur de tous âges à se sentir mieux.


Le premier est absolument craquant : Ping : Ping petit, Ping grand, mais Ping! d’Ani Castillo. Il a pour thème les interactions sociales, montre comment avoir des attentes réalistes et incite à s’ouvrir aux autres, à partir de 3 ans.


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Avec un principe d’une clarté désarmante, le lancer de la balle au ping pong, l’autrice présente comment débuter les relations avec autrui. Le lancer (ping) devient parole, geste, création ou tout autre moyens de toucher l’autre, le pong comment l’autre personne sera touchée.

Si je souris, c'est mon ping. L’autre peut faire de même ou pas : c'est son pong. Le pong dépend de l'autre ou des autres.

Si on veut recevoir beaucoup de pongs il faut donner beaucoup de pings. Mais on ne peut jamais être certain de la réponse. La métaphore du jeu est libératrice et stimulante.

Le petit personnage en rouge est attachant et figure très bien le jeu.


Le deuxième titre est l’un de mes préférés malgré son air un peu tristounet. Et moi, que pourrais-je faire? de José Campanari. Il aborde le sujet de l’anxiété face aux mauvaises nouvelles et propose même un moyen d’aller mieux en aidant son entourage, à partir de 5 ans.


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M. Untel est de plus en plus préoccupé par les mauvaises nouvelles qui prennent toute la place dans sa vie. L’illustration montre des mots qui s’accumulent sur le personnage, l’empêchant de manger, de dormir. (et oui, c’est dans le temps où on l’on lisait des journaux papier!)

Jusqu’à ce que la petite phrase “Et moi, que pourrais-je faire?” s’échappe de sa langue et qu’elle soit attrapée par une voisine qui a besoin d’aide pour aller porter son enfant malade à l’hôpital, par un homme dans le besoin qui a faim. M. Untel se rend compte qu’à chaque fois qu’il ouvre la bouche, quelqu’un lui répond.

Un moyen simple de combattre la morosité ambiante: en faisant le bien autour de de soi.


Enfin, l’album destiné en premier aux adolescents, mais qui peut être présenté et lu sans modération à tous âges: C'est quoi l'amour? de Lucile de Pesloüan et illustré par Geneviève Darling.


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C’est le troisième album de ce duo d’autrices qui n’a pas peur de s’attaquer à des sujets controversés et essentiels. Par des citations, des témoignages Lucile de Pesloüan illustre plusieurs formes d’amour et le propose comme outil de changement social.

L’amour non seulement dans les relations amoureuses, mais l’amour qui nous relie à nous-mêmes et aux autres. Les images formidables de Geneviève Darling ont quelque chose du pamphlet, les visages diversifiés et souvent en gros plan, sont d’une étonnante force et d’une grande douceur à la fois.


Et vous, quel livre vous a aidé cette année ?

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Durant les Fêtes, même confinée, j’ai bien l’intention de manger! Pas question pour moi de vous proposer ici des livres de recettes, mais plutôt de réfléchir ici sur la provenance de notre nourriture.


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La lecture de l’essai en bande dessinée Comment (et pourquoi) je suis devenue végane d’Eve Marie Gingras paru chez Ecosociété m’a donné envie de mieux comprendre de rapport que l’on entretien avec les animaux.

L’autrice raconte sa prise de conscience, lors de la préparation d’un repas que ce qu’elle s’apprêtait à cuisiner était en fait un animal mort. Dans un style très pédagogique, elle nous pousse à réfléchir sur les conséquences de notre consommation des produits tirés des animaux.


Je me suis demandée ensuite comment étant agriculteur et vivant à proximité des animaux, l’on pouvait supporter de devoir faire abattre les bêtes que l’on a soigné et nourrit quotidiennement.


J’avais déjà lu l’excellente série de mangas autobiographique Nobles paysans d’Hiromu Arakawa qui raconte sa jeunesse dans une ferme d’Hokkaido (son père impressionne par ses capacités de régénération après de violentes blessures!) et j’ai débuté avec enthousiasme la série Silver spoon qui l’a rendue célèbre.

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Dans ce shonen, la quête ne consiste pas à accomplir des exploits fantastiques, mais plutôt à se lever à 4h du matin pour abattre un boulot physiquement exigeant.

On y suit Yugo, jeune citadin qui choisi le l’école d’agriculture d’Ohezo pour fuir la pression des études. Il y découvrira (et nous aussi par la même occasion) le quotidien des agriculteurs et le rapport sensible que les éleveurs ont avec leurs bêtes. Même s’il raffole du bacon (il va même en produire), Yugo et ses camarades réfléchissent sur le moyen d’améliorer le bien-être des porcs.

L’autrice a un talent incroyable pour expliciter plein d’aspects assez complexes de la science agricole tout en maîtrisant l’art de raconter une bonne histoire.


Et je voudrais terminer par un album (pour les adultes) absolument magnifique et étrange qui vient de sortir en librairie: Le supplice de la banane.

Attention cœurs sensibles, la langue y est belle mais très évocatrice. On y raconte en utilisant le vocabulaire du crime, la lente agonie des fruits et légumes que vous cuisinez…et leur revanche. À voir ou à offrir à Noël.


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Amélie Dumoulin a le pouvoir magique de surprendre ses lecteurs. Ses écrits souvent déboussolent, brassent nos attentes. C’est ce que j’aime de la littérature inspirée.

Pipo ne fait pas exception. C’est un roman étonnant, un lointain cousin des aventures de Fifi Brindacier.

Il est magnifiquement illustré par Todd Stewart auteur de l’album Quand le vent souffle. On reconnait le caractère des personnages dans les illustrations, on y apprend leur force comme leurs défauts. Les petits traits rassemblés donnent un air de gravure à ce conte, comme l’absence de chapitres. Le livres comporte des petites sections titrées de petites pauses dans la grande aventure.

Le cadre du livre, urbain, est surplombé d’un mont (celui là aveugle) et voisin de raffineries. Je ne vous présenterai pas ici le personnage homonyme, je vous invite à la rencontrer.

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Roman d’accumulation, les voix s’y  superposent, celle de l’auteure commentant la narration, des scènes reconstituées, comme celle de l’abandon du père. Mais surtout des adresses directes aux lecteurs que la narratrice ne laisse pas tranquille:

“Maintenant imagine. Imagine que c’est toi, que tu fais ça, pour de vrai. Un après-midi, tu remplis un sac à dos avec de la nourriture, une gourde d’eau, un chandail chaud. […] Imagine les crampes au ventre lorsque tu sors de chez toi et que tu observes de haut la ville. comme un labyrinthe fou qui veut t’engloutir. […] C’est ce que j’aime dans les livres, ce sont les autres qui font tout ça à ma place !” 181

Encombré d’objets qui ressemblent à des déchets, chaque chose trouvera sa place, une place autre bien sûr que celle que l’on se serait imaginée.

“Je suis certaine que les objets ont un sens dans nos histoires, Madame Néon, et je sais que vous trouverez bientôt le sens pour tous ses tubes lumineux que vous collectionnez. En tout cas, moi, je les adore, vos lumières. C’est comme de la musique, mais de la musique pour les yeux.” (210)

Comme dans ses autres œuvres, Amélie Dumoulin suscite la magie du quotidien et nous laisse comme un goût de bonté avec les humains, tous les humains, même ceux qui ne le méritent pas.