Des enfants abandonnés et de ceux qui s’affirment orphelins
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- La renarde
Quelques fois les hasards de lecture tissent des liens inusités entre des œuvres. Cette semaine, le roman Victor de Simon Boulerice et le manga Sunny de Taiyô Matumoto se sont partagé ma table de chevet.
Le personnage principal de Victor est le jeune premier d’un film. On s’attarde ici à sa personnalité plutôt sérieuse, très loin du bellâtre superficiel auquel on pourrait s’attendre. Étant un grand lecteur, il est fasciné par les dernières phrases que les gens célèbrent prononcent avant de mourir.
Le beau Victor s’est brouillé avec ses parents pour une raison que je ne dévoilerai pas ici et décide qu’il est orphelin. « Vous n’existez plus pour moi. » (p. 14) On découvre au fur et à mesure du récit que la vraie cause n’est pas celle qui était présentée au départ.
La nouvelle série de romans pour lecteurs adolescents « Casting », des éditions la Bagnole, présente trois personnages (Charlotte, Victor et Victoria) qui prennent vie sous la plume de trois auteurs différents (Chloé Varin, Simon Boulerice et Stéphanie Lapointe). Ceux-ci vivent le même événement (les auditions pour le film Une famille à l’envers) et le racontent de leur point de vue. Le tout prend la forme d’un journal intime avec indication de lieu et de date en tête de chapitre (à la manière de discalies), même si cedit journal n’est pas présent dans le récit. Le personnage parle plutôt dans le roman de son Journal d’observations.
Comme toujours chez Boulerice, les fines observations du quotidien séduisent et rendent plus réels les personnages en dévoilant leur force et leur vulnérabilité. Par exemple, Victor remarque que Charlotte fait un tapage terrible avec ses gougounes, alors que lui à s’effacer et à marcher discrètement. « […] Sa démarche tonitruante est celle d’une fillette attachante. Pourvu que le milieu du cinéma ne gâche pas ça. Pourvu que Charlotte Lemieux continue toute sa vie de faire claquer se gougounes là où elle pose les pieds. » (P.41)
Cela dit, ce n’est pas mon roman préféré de cet auteur, le roman reste un peu sage, malgré des personnages intéressants, mais la lecture en est très fluide et parsemée de belles trouvailles. J’aimerais mentionner aussi la présence de plusieurs citations d’œuvres littéraires dans le roman qui promeut une liberté de lecture réjouissante. À partir de 12 ans.
Ce manga présente des portraits d’enfants qui habitent même maison d’accueil à cause de leur situation familiale difficile. Sunny est la marque d’une voiture abandonnée qui leur sert de terrain de jeux, un lieu où ils se projettent dans des rêves éveillés.
Ce qui m’a plu particulièrement dans ce manga c’est qu’on y présente un Japon moins froid et aseptisé qu’on a l’habitude de voir. Tant dans les thèmes que dans la forme. Le trait est légèrement charbonneux, la perspective très proche que celle que peuvent avoir les enfants, légèrement en contreplongée. La narration change de point de vue, passant d’un personnage à l’autre même si l’auteur affirme raconter ses propres souvenirs.
« D’un autre côté, je ne voulais pas laisser passer trop de temps, car je craignais de me mettre à idéaliser les choses. Ce que je raconte dans ce manga a réellement eu lieu, et avant de commencer à écrire, j’ai d’abord réfléchi aux conséquences que cela aurait pour eux et pour moi. J’ai failli ne pas écrire cette histoire. » Matsumoto Taiyô entrevue avec Xavier Guibert sur Du9.
Les personnages sont aussi très vivants. Un petit, Junsuke, a constamment le nez qui coule. Les enfants passent leur temps à se chahuter. Le directeur de la maison dit d’ailleurs : « Quand les gosses me parlent, leur égoïsme finit toujours par m’énerver, mais… » « … si je me contente de les écouter de loin, je les trouve mignons. » (p. 161 : 2)
Commentaires
Merci Renarde pour ces suggestions de lecture. Je n'ai pas encore mis la main sur la série Casting, mais j'aime beaucoup, en général, les écrits du prolifique Simon Boulerice. Il a l'habitude de mettre en scène la différence d'une façon décalée, drôle et touchante. Je suis d'accord aussi pour dire que ses écrits jeunesse flirtent avec l'effronterie (pour notre grand plaisir), ou du moins, ce qu'on considère trop souvent comme de l'effronterie. Pendant un stage en création jeune public, un petit groupe et moi-même avons eu l'occasion de discuter avec lui. Il confiait ne pas hésiter, à certains moments, à aller piger des bribes d'idées dans ses ouvrages "adultes" pour les intégrer à ses textes jeunes public. Par exemple, dans la pièce Les mains dans la gravelle, le personnage principal parle de sa petite voisine en disant "qu'elle se fait les jambes à l'épluche carotte", phrase tout droit sortie d'une esquisse d'un de ses poèmes grand public.
ChouetteAutre question beaucoup plus technique, mais pas sorcière. Que veut dire la nomenclature "p. XXX: Y" lorsqu'il s'agit d'une BD?
Bonjour la chouette,
La renardeton anecdote sur Boulerice m'a fait sourire. Pour ce qui est de la forme "p. xx: y", cela signifie simplement que l'extrait que je cite se trouve à la case Y de la page X. Merci de la précision!